mercredi 12 octobre 2016

Collègues



Colette - rue des Tulipes

Avant de venir ici dans une maison PLR avec son mari, Colette a habité à Lespes pendant 10 ans. Son mari avait fait 4 infarctus, le premier à 36 ans, aussi il leur fallait absolument une maison en rez-de-chaussée.
Elle a travaillé comme piqueuse à l’usine de chaussures REVAN, sur la route de Bordeaux qui l’a licenciée en 1984. Elle a été couturière et brodeuse  à Paris chez BALMAIN durant 20 ans avant de revenir en Chalosse pour s’occuper des ses parents.
Colette est bien dans sa maison et son quartier. L’enlever d’ici pour une maison de retraite, il n’en est pas question. De toutes façons avec 1250 euros de retraite par mois, elle n’en a pas les moyens. Sa fille est décédée il y a 2 ans au mois de juin. Elle devait aller vivre chez elle. Elles étaient très proches. Depuis des années et des années il y a des drames dans sa vie.
Colette a beaucoup d’amis et des collègues de scrabble et des chiffres et des lettres. Elle a participé à des tournois nationaux pendant plus de 20 ans. Elle n’aime pas dire copains, copines alors elle dit collègues.
Elle reste aussi fidèle à la salle des Jonquilles, pour jouer aux cartes, prendre un goûter, ça lui fait passer l’après- midi. Aujourd’hui, Colette a mal partout à cause d’une crise d’arthrose, elle met des patchs de morphine.

Le marchand de poisson est passé ce matin, il passe tous les jeudis matin dans le Sablar. Elle s’est pris 2 belles tranches d’ébonite et un peu de brandade.  

Avancer dans la vie



Marie-France - rue des Jonquilles

Marie-France est touche à tout. Avant, elle n’était pas du tout manuelle. Quand elle était malade, une amie lui a offert un livre avec des fleurs séchées et ce livre l’a inspiré. Elle s’est ensuite mise à la broderie, à la peinture, à la poterie, à la fabrication de carte. Maintenant qu’elle est à la retraite, les travaux manuels constituent son activité principale. C’est un passe temps qui lui apporte beaucoup de plaisir et lui donne l’impression d’avancer dans la vie, de ne pas stagner.
Marie-France a travaillé  dans le commerce, dans l’alimentation comme vendeuse. Son grand-père était voyageur de commerce et déjà toute jeune elle voulait faire comme lui, au grand désespoir de sa mère qui souhaitait qu’elle rentre dans l’administration comme fonctionnaire. A l’époque toutes les voisines de son âge rentraient à la Poste ou à la SNCF. A 14 ans, juste après le certificat d’étude, elle répond à une annonce dans le Sud-Ouest de chez Lembey à Saint-Paul qui cherchait une apprentie. Madame Lembey est venue à la maison dès le lendemain et m’a tout de suite embauchée ! J’ai dit à ma mère « Va m’acheter un tablier blanc, dans 8 jours je rentre chez Lembey ». Elle n’était pas contente. Marie-France faisait de sacrés horaires et était payé rien du tout ; juste de quoi s'acheter un solex en fin d’année mais elle ne s’est jamais plainte.
Elle est née au bord de l’Adour, juste de l’autre côté du chemin de fer, de l’autre côté du Sablar. Mais elle faisait quand même partie du quartier. Elle allait à l’école au Sablar, au catéchisme au Sablar.
Elle a mis 24 ans à obtenir une petite maison rue des Jonquilles. Elle a fait des pieds et des mains pour l’avoir. Elle y tenait vraiment car à cet endroit même son père avait à un jardin ouvrier dans lequel il cultivait des arômes que sa mère vendait le samedi sur le marché.
Marie-France est bien ici même si elle trouve que le quartier ne bouge pas assez. Elle se sent un peu en retrait par rapport à la ville et ne passe pas très souvent le pont pour aller de l’autre côté, dans le centre de Dax.


La porte ouverte



Simone  - Lespes

Simone Bégu habite dans la Tour A de Lespes depuis le 1er aout 1967. Elle me dit : « 50 ans, l’année prochaine, on boira le champagne ! Si je suis encore là… mais il faut pas trop le dire. »
Voilà près de 12 ans que Simone n’est pas sortie. Elle s’y est habituée. Quand elle sort, elle a l’impression que tout va lui tomber dessus. Elle a 92 ans et tous les gens de son âge sont morts. Dans sa tête elle n’a pas 92ans. Elle a tellement bataillé dans sa vie qu’elle a eu énormément de force. Elle a perdu son mari, ses frères, ses belles-sœurs, des neveux… coup sur coup, alors elle est en dépression. « Je suis clouée chez moi, on s’habitue à tout » me dit-elle. Elle a le balcon et son chat. Elle laisse toujours la porte ouverte.
Simone se sent très bien au Sablar et elle s’est longtemps occupée du Foyer, rue des Jonquilles, des enfants comme des personnes âgées. Elle était très dévouée. Elle a travaillé 40 ans aux Nouvelles galeries, rentrée comme vendeuse, sortie chef de rayon.
Son mari est mort à 59 ans, elle en avait 57. Elle a gardé son mari 30 ans et cela suffisait. Quand elle est tombée veuve, tout le monde est arrivé pour la soutenir, les religieuses, les curés, les amis et c’est là qu’elle a commencé à s’investir dans le foyer, à s’occuper des autres. De tout ça, il ne reste plus rien alors Simone se demande ce qu’elle fiche encore ici. Dieu l’a-t-il oublié ?
« Les gens ne restent pas sur terre, ce n’est qu’un passage. »


Le maire du Sablar



Coco Laffite - rue des tonneliers.

Coco Laffitte est né au Sablar il y a 81 ans. Il me reçoit dans sa maison rue des tonneliers. Dans son jardin il a planté un palmier qui est le plus grand et le plus beau du quartier. Il vit dans cette maison avec sa femme depuis 35 ans, avant ils étaient au lotissement Darricau, pas très loin d’ici. Ce lotissement avait été voulu par les anciens pour garder les jeunes et leur famille dans le quartier. Des lots avaient ainsi été achetés  par la Mairie à monsieur Darricau  pour construire des maisons. 
Coco est un grand amoureux du Sablar. A l’âge de 15 ans il est enrôlé au Comité des fêtes des tonneliers et de 1962 à 2014 il en sera l’illustre Président. A 80 ans il a passé la main.
En 1960 il devient Conseiller municipal à la Mairie de Dax  où il restera jusqu’à ses 60 ans. Longtemps, les gens l’ont surnommé le Maire du Sablar.
Tout ce passé glorieux est rempli de liens affectifs et amicaux très forts, de relations extraordinaires. Sa fidélité au quartier lui a procuré énormément de richesses sur le plan humain.
Coco évoque le passé riche et économique du Sablar avec passion : l’Adour, le port,  le chemin de halage avec les bœufs qui tiraient les gabares, les barriques sur les gabares,  la fonderie Lespes qui fabriquait des obus pour la guerre de 14,  l’usine de distillation de  gemme des Landes, les 4 grands marchants de vins, la fabrication des tonneaux, l’édification des digues, l’arrivée du chemin de fer…
Coco me montre un article de Sud-ouest dans lequel il déclare que la rive droite a fourni pendant 1500 ans la majeure partie des ressources de Dax.
Pour lui, le Sablar faisait vivre toute la ville et les bourgeois de Dax, tranquillement installés rive gauche,  derrière leur forteresse.      


Comme dans un musée



Vincent et Hélène – impasse des bateliers  

Vincent et Hélène sont locataires d’une petite maison au fond d’une impasse. Je suis tombée sur eux au détour d’une promenade. Ils buvaient le café devant leur porte. Vincent a refait entièrement la maison. Il adore bricoler. Il a trois diplômes, un CAP de charpentier, un diplôme du génie de l’armée et un BTS de maintenance. Lui et sa femme sont pensionnés car ils ont des problèmes de santé. Il arrive à travailler à droite à gauche chez des gens en chèques emploi service. Dans la maison il a refait toutes les  peintures, le plancher flottant, la cuisine équipée, le devant de porte et il a même goudronné la cour.
Vincent a la passion du mobilier contemporain,  art déco des années 50 et 60  et  des antiquités. Il a découvert ça sur les livres et maintenant il  est dedans. Il me montre la bonnetière dans le salon, un miroir ancien au mur de la cuisine, une lampe champignon dans un coin…
Il fait des affaires et n’aime pas payer comme tout le monde. Il négocie, fait les salles des ventes, se faufille partout  comme une petite souris, toujours dans la légalité. Il n’a pas envie d’avoir des histoires.
Quand les gens viennent ici, ils découvrent des objets  comme dans un musée. Vincent me confie que l’on peut voir ce genre de mobilier dans les films de Belmondo et d’Alain Delon.

Avec Hélène, ils se sont souvent serrés la ceinture et ont mangé des sandwichs pour pouvoir acheter des meubles. 

Loustalot



Michel – Place du Maréchal Joffre

Aujourd’hui j’ai rencontré Michel Loustalot. Au Sablar, c’est une figure ! Il a tenu  l’hôtel bar restaurant Loustalot sur la place Joffre durant presque 40 ans.  
Il y est né. Loustalot c’est une histoire de famille car c’est son grand-père qui l’a acheté en 1930, à l’époque c’était  un  estaminet, un petit café.
Loustalot ça vient du mot l’hospitalet  qui signifie petite maison, petit hôtel. Ils étaient prédestinés.
Son père a ensuite repris l’affaire en main jusqu’en 1973. A ce moment là, il a rappelé Michel pour qu’il vienne l’aider. Lui, il rêvait de partir faire le cuisinier en Australie, au Canada ou à l’Elysée. Il aimait vivre libre et sans contrainte. Il est quand même revenu au Sablar pour aider son père. Celui-ci est mort dans un accident de voiture quelques mois après. A 24 ans Michel est devenu  patron de l’établissement.
Il a été élevé par deux hommes :  son père et son grand-père. Il n’a pas connu sa mère qui est morte alors qu’il avait un an, sa grand-mère a suivi peu de temps après. Il a l’impression que petit il passait tout son temps au cimetière mais cela ne lui a jamais enlevé le sourire et la joie de vivre. Il a eu son compte de morts, cela lui a forgé le caractère me dit-il. Depuis le décès de sa femme, Michel relativise beaucoup de choses.
Loustalot a eu ses heures de gloire. Tous les dacquois y venaient, tous les clubs et équipes de sports de la ville s’y retrouvaient après les matchs. L’hôtel avait 95 % de taux de remplissage toute l’année mais les normes de sécurité et les règlements administratifs ont eu raison de lui.
Pendant les fêtes de Dax, Michel faisait venir un grand podium et une fête foraine. C’était une folie ! Près de 2000 personnes s’y pressaient chaque nuit. Au début le Maire de Dax n’était pas trop partant car il craignait que cela fasse de la concurrence aux fêtes officielles de la place Saint Pierre.

Michel occupe une maison juste à côté de Loustalot qui aujourd’hui est à l’abandon et lorsqu’il passe devant, il a de la peine de voir la grande bâtisse en train de se délabrer.  
Michel a une grave maladie mais il sourit et affirme encore, au détour de la conversation, qu’il aime la vie par dessus tout. Il  est entouré d’amis chers et  fidèles et partage maintenant son quotidien avec Chantal un amour de jeunesse qui semble l’avoir toujours attendu.

« J’ai été plus beau, plus jeune, plus fringant mais cela ne fait rien, que c’est agréable la vie, bordel ! »

Dans le bas Sablar



Jeanne – Impasse Laulanné

Ce matin,  j’ai rencontré Jeanne. Elle habite impasse Laulanné depuis 65 ans. « Ici, vous êtes dans le bas Sablar, rien à voir avec le reste du quartier» me dit-elle. Jeanne prenait le soleil matinal, assise sur un petit fauteuil pliant devant le pas de sa porte. Son tee-shirt rose vif était assorti aux fleurs dans le massif au dessus de la fenêtre de sa cuisine. Jeanne vit seule. Tous les gens qu’elle connaissait autour de chez elle sont morts.

Son mari André est à la maison de retraite et elle est soulagée. Il avait la maladie d’Elzeimer et elle s’en est occupée durant 15 ans. A la fin il sautait par la fenêtre dans son dos pour s’échapper. Elle n’en pouvait plus. Jeanne me dit qu’elle est heureuse avec quelques soucis d’argent. Une fois payé la maison de retraite il lui reste 300 euros pour vivre.  Son seul plaisir c’est d’aller tous les après-midis avec sa copine au Parc des Arènes, qu’il pleuve ou qu’il vente. Elle ne supporte pas d’être enfermée dans la maison. Que ferait-elle dedans ? Ruminer ? Jamais !